Parmi toutes les douceurs qui racontent l’âme de Nice, la tourte de blettes sucrée tient une place toute particulière. Ce dessert, unique au monde, mélange légumes, fruits secs et sucre dans une symphonie de saveurs souvent surprenante pour qui le goûte la première fois. Et pourtant, il fait partie intégrante de notre patrimoine culinaire et se retrouve aussi bien sur les tables familiales que dans les vitrines des boulangers-pâtissiers du Vieux-Nice.
Un dessert aux racines niçoises profondes
La tourta de blea, comme on dit en niçois, n’est pas une fantaisie récente mais une recette qui remonte à plusieurs siècles. Dans la cuisine d’autrefois, on ne jetait rien : on transformait, on accommodait, on travaillait avec ce que la terre et la saison offraient. Les blettes — ou bettes — poussaient facilement dans nos jardins du Paillon et de la plaine du Var.
Traditionnellement, elles servaient dans des plats salés. Mais les Niçois, toujours ingénieux et curieux en cuisine, eurent l’idée de les marier à des raisins secs, des pignons, un peu de pomme râpée, quelques zestes de citron, le tout ensemble dans une pâte dorée au four avec une généreuse poignée de sucre.
Le résultat ? Une tourte étonnamment équilibrée, à la fois végétale, fruitée et parfumée, qui a traversé les générations sans prendre une ride.
Une recette qui raconte Nice
Ce qui rend cette pâtisserie si belle, c’est aussi son esprit de partage et de fête. La tourte de blettes faisait souvent son apparition lors des repas familiaux, des baptêmes, des communions ou simplement le dimanche, après la messe, lorsqu’on se retrouvait autour d’un bon repas.
Les fours des boulangers accueillaient autrefois les plats préparés par les familles qui n’avaient pas de four chez elles. C’est ainsi que la tourta de blea se diffusait dans tout le quartier, chaque famille y apportant sa petite touche : moins de pignons pour les uns, plus de raisins pour les autres, une pâte plus fine ou plus épaisse selon les goûts.
Le goût si singulier de la tourte de blettes
Si vous n’y avez jamais goûté, vous pourriez être sceptique : un dessert à base de blettes, vraiment ? Et pourtant, c’est tout le charme de la cuisine niçoise : surprendre vos papilles !
Quand vous mordez dans une part, vous sentez d’abord le côté sucré et fruité des raisins et de la pomme, relevé par le petit croquant des pignons. Puis vient cette note végétale douce apportée par les blettes hachées. L’ensemble est enveloppé d’une pâte bien dorée saupoudrée de sucre glace, qui apporte une touche de gourmandise supplémentaire.
C’est un dessert qui équilibre la fraîcheur du légume, le moelleux des fruits secs et la richesse de la pâte.
Où déguster la meilleure tourte de blettes à Nice ?
Si vous flânez dans le Vieux-Nice, plusieurs adresses perpétuent fièrement la tradition :
- La célèbre Patisserie Auer, rue Saint-François de Paule, reconnue pour ses douceurs locales.
- Le marché du Cours Saleya, où certains stands proposent des parts généreuses de tourte de blettes à emporter.
- Dans les boulangeries de quartier, notamment à Riquier, Libération ou encore près du port, où les recettes artisanales restent fidèles à l’esprit d’origine.
Si vous avez la chance d’être invité chez une famille niçoise, c’est là que vous goûterez la vraie tourta de blea, préparée “comme à la maison”.
Recette de la tourte de blettes sucrée niçoise (tourta de blea)
Ingrédients (pour une grande tourte familiale)
Pour la pâte :
- 500 g de farine
- 200 g de sucre
- 15 cl d’huile d’olive
- 1 petit verre d’eau tiède
- 1 pincée de sel
Pour la garniture :
- 500 g de blettes (les feuilles uniquement, pas les côtes)
- 2 pommes râpées
- 100 g de raisins secs (idéalement trempés une heure dans du rhum ou de l’eau tiède parfumée à la fleur d’oranger)
- 80 g de pignons dorés à la poêle
- 3 œufs
- 120 g de sucre
- Le zeste d’un citron non traité
- 1 cuillère à café de cannelle
Pour la finition :
- Sucre glace en abondance
Étape 1 : Préparer la pâte
Dans un grand saladier, mélangez la farine, le sucre, le sel, l’huile d’olive et l’eau. On travaille la pâte rapidement, à la main, jusqu’à obtenir une boule souple et homogène. Petite astuce de ma mère : laisser reposer une demi-heure recouverte d’un linge humide, la pâte sera plus facile à étendre.
Étape 2 : Préparer les blettes
- Séparer les feuilles des côtes (ces dernières serviront pour une soupe ou une tourte salée, rien ne se perd !).
- Bien laver les feuilles, les essorer, puis les hacher finement au couteau.
- Certains passent les blettes quelques minutes à la vapeur, mais chez nous, on les met crues, finement coupées, pour garder toute la fraîcheur.
Étape 3 : La garniture
Dans un grand saladier, mélangez :
- les blettes hachées,
- les pommes râpées,
- les raisins secs imbibés,
- les pignons légèrement grillés,
- le sucre,
- les œufs,
- le zeste de citron et la cannelle.
Vous obtenez une farce parfumée, moelleuse, qui fleure bon le terroir niçois.
Étape 4 : Le montage
- Diviser la pâte en deux.
- Étaler un premier disque et le disposer dans un moule à tarte huilé (ou beurré).
- Verser la garniture et bien égaliser à la cuillère.
- Recouvrir du deuxième disque de pâte, souder les bords et piquer légèrement la surface à la fourchette.
(Autre variante : on ne remet pas de pâte au-dessus, on laisse ouvert façon tarte, c’est aussi délicieux !)
Étape 5 : La cuisson
Préchauffez le four à 180°C.
Faites cuire 40 minutes environ, jusqu’à ce que la pâte soit bien dorée.
À la sortie du four, attendez qu’elle tiédisse un peu, puis saupoudrez-la généreusement de sucre glace.
Étape 6 : La dégustation
La tourte de blettes se déguste tiède ou froide. Chez nous, elle fait souvent le goûter du dimanche ou s’offre en parts généreuses à la famille de passage. Avec un petit verre de muscat ou juste un café, c’est un pur bonheur.
👉 Le petit secret de famille
- On ajoute parfois une cuillère de fleurs de courgette hachées dans la farce pendant l’été, ça renforce le goût “jardin”.
- Et un autre secret : ma grand-mère badigeonnait le dessus d’un filet d’huile d’olive avant cuisson pour un croustillant doré inimitable.
La tourte de blettes : un symbole d’identité niçoise
Au-delà de la gourmandise, la tourta de blea raconte l’attachement des Niçois à leur cuisine de cœur. Une cuisine qui puise dans la terre, mais qui n’oublie jamais la fête. Comme la socca, la pissaladière ou les beignets de fleurs de courgette, elle appartient à ces saveurs qui font partie de notre identité.
Et si vous voulez comprendre Nice, il ne suffit pas d’admirer la mer et les façades colorées : il faut goûter ses plats typiques, car ils portent en eux des siècles de vie, de traditions et de passion.
Alors, la prochaine fois que vous passez dans le Vieux-Nice, arrêtez-vous et commandez une part de tourte de blettes sucrée : c’est tout simplement un morceau d’histoire niçoise que vous dégusterez.
